4.1.09

"Une mémoire blessée"

« UNE MÉMOIRE BLESSÉE »

Explorer l’ambiguïté du réel n’est pas pour Daniela Montecinos s’appesantir sur la fonction de la peinture et la manière de la mettre en oeuvre, mais répondre à son irréductible nécessité de traduire ce qui assaille sa supra-conscience. Cependant, le pays au loin, elle est inévitablement subordonnée au souvenir, à une quête identitaire qui attise la nostalgie, à travers des instants de vie soustraits aux strates d’une réalité enfouie. Car ayant enduré le déchirement de son peuple et pour beaucoup le traumatisme de l’exil, Montecinos assume le compromis entre son histoire individuelle et celle de son Chili natal, dont on sait le poids douloureux.

Par conséquent, sa syntaxe ne pouvait qu’incarner le fatum du déracinement, et parallèlement le mythe d’une mémoire blessée, qui va bien au-delà de ses ancrages originels, même si la crispation de son iconographie n’est pas innocente. Ses thèmes sont pourtant familiers. Chiens errants à l ‘arrêt ou en action, à l’affût ou faussement indifférents, articulés par fragments ou dans leur totalité, tête-bêche au arc-boutés sur leur arrière-train, de face ou de profil, repus ou faméliques .... ces canidés rejetés, rompus à la solitude et à l’hostilité de la rue, généralement captés à la dérobée et souvent réduits à leur esquisse, apparaissent rarement agressifs.

Puis on croise ensuite des bicyclettes fatiguées, bancales ou démembrées, ceinturées par un magma de mots épars pas toujours reconnaissables, des chaussures, voire des sandales, isolées ou par paires, frustres ou élégantes, encore entourées de chiens furtifs, de têtes de porcs hilares ou de silhouettes humaines privées de visages, l’air hébété sinon énigmatique, à moins qu’il ne s’agisse de centurions armés évoquant la violence sous-jacente du représenté. Autant de sujets gouvernés par une sémantique de l’éparpillement, eu égard à l’éclatement du tissu narratif, auxquels on adjoindra la série « Anges et mères », avec leurs configurations massives et bosselées proches de la veine expressionniste, dont la présence informe et bousculée nous cueille au plus profond.

Pour camper son vocabulaire Daniela Montecinos adopte divers supports et techniques : la toile, le collage, le monotype retouché, mais privilégié le dessin. Pas le dessin de contour, particulier au sculpteur, où le trait prend seul en charge le partage des valeurs, mais un graphisme fouillé, ramifié, zébré de stries et de maculatures. D’autres fois, la composition est conçue de superpositions, sinon de chevauchements organiques lumineux ou ombrés, ou bien de postures en positif -négatif, pendant que les plages vierges contribuent à la respiration de l’ensemble.

Tour à tour ramassé et fusant, le geste n’a rien ici d’anarchique, mais épouse la pensée qui l'impulse et en dirige la course nuancée, linéaire ou vibrionnante. Tensions interactives et pigmentations, mots signifiants et agrégats tachistes, coloris délavés et partitions stenographiées, scellent alors des alliances contrastées au sein de ces périmètres habités par la houle affective de la nostalgie. Enfin, un métier éprouvé et une main économe, fédérateurs d’une organisation spatiale juste et aérée, couronnent ces images essaimées de sonorités nocturnes et de soudaines fulgurances, où substance et motif s’avèrent indissociables.

Au fil de ce parcours emblématique où la souffrance est intérieure, se cache une tendresse qui n’efface pas toutes les meurtrissures. Daniela Montecinos aime se perdre et se retrouver dans les détours de cette vie en suspens, dont sa mémoire alimente l’âpreté existentielle, mais forte de son tempérament volontaire et conquérant, elle est dans « le sens de la marche ».

gérard xuriguera
paris, décembre 2008

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